Connu aux États-Unis comme le premier millionnaire de l’histoire américaine, Stephen Girard reste pourtant largement méconnu dans son pays natal, la France. Né à Bordeaux en 1750 sous le nom d’Étienne Girard, cet homme hors du commun fut à la fois marin, commerçant, banquier, mécène et philanthrope.
Son destin singulier, oscillant entre réussite éclatante et paradoxes moraux, sera mis à l’honneur lors d’une conférence organisée par l’association Cercle citoyen, qui œuvre dans la Haute-Gironde et le Nord-Libournais.
Un Bordelais au destin exceptionnel

Fils d’un capitaine de la marine marchande et issu d’une fratrie de dix enfants, Étienne Girard grandit dans le quartier des Chartrons, berceau du négoce bordelais. Un accident domestique survenu durant son enfance le prive d’un œil, un handicap qui le marquera à vie. Les portraits connus de lui ne montrent d’ailleurs que son profil gauche.
Très tôt, il s’engage en mer et suit la voie de son père. Naviguant sur les routes commerciales de l’Atlantique, il développe un sens aigu des affaires. En pleine guerre d’indépendance américaine, il se retrouve à Philadelphie, où il décide de s’établir définitivement. Devenu citoyen américain, il anglicise son prénom et se fait désormais appeler Stephen Girard.
Un homme d’affaires visionnaire
Girard comprend très vite le potentiel économique du jeune pays. Il se lance dans le commerce maritime, y compris la contrebande, et tisse un réseau commercial mondial allant jusqu’à la Chine, d’où il importe notamment de l’opium et d’autres produits précieux. Son flair, sa ténacité et son audace font rapidement de lui l’un des hommes les plus riches de son temps.
Au début du XIXe siècle, Stephen Girard devient le premier millionnaire en dollars. Mais sa fortune ne se limite pas à son compte en banque. Lors de la guerre de 1812 opposant les États-Unis à l’Angleterre, il joue un rôle décisif : en prêtant d’importantes sommes à l’État américain, il permet de financer l’effort de guerre et d’assurer la pérennité de l’indépendance du pays. À Philadelphie, où il meurt en 1831, son nom figure encore sur de nombreux bâtiments et institutions, notamment la Girard College, une école fondée grâce à son héritage.


Un philanthrope aux contradictions marquées
Imprégné des idéaux des Lumières françaises, Girard baptise ses navires du nom de philosophes tels que Voltaire, Rousseau ou Montesquieu. Pourtant, il demeure aussi un propriétaire d’esclaves, une contradiction qui symbolise la complexité de son époque et de son personnage. Athée convaincu, il n’hésite pas à financer des églises américaines, à condition que les fonds soient utilisés pour des œuvres caritatives.
Sa mort consacre sa légende : sans descendance directe, il lègue l’essentiel de sa fortune — plusieurs millions de dollars — à des institutions éducatives et à des œuvres de bienfaisance. Ce geste philanthropique, extraordinaire pour son temps, lui vaut d’être vénéré outre-Atlantique, mais d’avoir été oublié dans sa ville natale.
Redécouvrir un grand Bordelais
La conférence du Cercle citoyen, animée par Jean-Claude Déranlot, président de l’association Frankton et délégué régional du Cidan, sera l’occasion de redonner toute sa place à ce personnage fascinant. Elle explorera non seulement le destin d’un homme exceptionnel, mais aussi les rapports entre la richesse, la morale et la société, tout en questionnant les fondements économiques et spirituels de l’Amérique moderne.
À travers Stephen Girard, c’est tout un pan de l’histoire franco-américaine qui refait surface : celle d’un Bordelais oublié, qui a pourtant contribué à bâtir la puissance des États-Unis.
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