La colère monte dans le vignoble bordelais, déjà fragilisé par une crise économique sans précédent. Ces dernières semaines, plusieurs exploitations ont été victimes d’actes de vandalisme d’une rare intensité : des cuves de vin ont été délibérément vidées, provoquant la perte de centaines de milliers de litres. Ces actions traduisent la détresse croissante du monde viticole, confronté à la chute des cours et à la multiplication des faillites.

Des attaques en série dans le Blayais et le Médoc
Le premier incident est survenu dans la nuit du 12 au 13 octobre à Plassac, dans le Blayais. Les installations d’une propriété viticole bio ont été ciblées peu après la vente judiciaire de ses stocks. Les cuves, ouvertes par des individus restés anonymes, ont laissé s’échapper des volumes entiers de vin, soit l’équivalent de plusieurs centaines de tonneaux. La propriété venait de voir ses vins écoulés à un prix dérisoire, près de cinq fois inférieur à la valeur habituelle du marché.
Quelques jours plus tôt, fin septembre, un autre acte similaire avait visé la Maison Raymond, négociant bordelais possédant un domaine dans l’Aude. Des cuves y avaient également été ouvertes, en pleine période de négociations sur les prix du vin. Ce type d’action est familier dans le sud de la France, notamment du côté de l’Hérault, où certains groupes viticoles mènent depuis des décennies des opérations coups de poing pour dénoncer la dévalorisation de leurs produits. Le Bordelais, en revanche, n’avait encore jamais connu un tel niveau de tension.

La situation s’est aggravée le 18 octobre, lorsqu’un vigneron du Médoc, à Saint-Germain-d’Esteuil, a découvert une douzaine de ses cuves vidées, représentant environ 2 000 hectolitres de vin, pour un préjudice estimé à plus de 2 millions d’euros. Aucune revendication n’a été retrouvée sur place, laissant planer plusieurs hypothèses, allant de la vengeance personnelle à l’acte symbolique de protestation économique. Une enquête de gendarmerie est en cours.
Une profession au bord de l’explosion
Ces sabotages interviennent dans un contexte de crise profonde du vignoble bordelais. Les prix du vrac se sont effondrés, les stocks s’accumulent, et de nombreuses exploitations n’arrivent plus à couvrir leurs coûts. Depuis le début de l’année, près d’une centaine d’entreprises viticoles girondines ont été placées en procédure collective, soit presque la moitié des défaillances recensées dans le secteur viticole français.
Face à ce climat explosif, les professionnels redoutent une escalade des tensions. Certains estiment que ces gestes visent à empêcher la revente de vins à des prix jugés indécents, qui fragiliseraient encore davantage le marché. D’autres y voient un signe d’exaspération face à l’absence de solutions structurelles.

Vers un débat sur les ventes judiciaires
Le prochain conseil syndical des Bordeaux et Bordeaux Supérieur, prévu le 20 novembre, doit aborder en priorité la question des stocks bradés lors des ventes aux enchères judiciaires. Plusieurs acteurs du secteur plaident pour une régulation plus stricte, voire pour la suppression de ces ventes au profit d’une distillation publique, afin d’éviter un effondrement durable des cours.
Ces épisodes de cuves vidées rappellent que, dans un vignoble en quête de survie, la tension entre colère, désespoir et défense des prix atteint désormais un niveau critique.
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