Imaginez un territoire qui n’appartient ni totalement à la France, ni complètement à l’Espagne, mais un peu aux deux… C’est l’Île des Faisans, un minuscule îlot fluvial de 6 820 m² posé sur la Bidassoa, entre Hendaye (Nouvelle Aquitaine) et Irun (Pays basque espagnol).
Depuis le 1ᵉʳ février 2025, ce morceau de terre est officiellement espagnol… mais pas pour longtemps. Le 1ᵉʳ août, il redeviendra français, jusqu’au 31 janvier suivant. Ce curieux va-et-vient dure depuis près de deux siècles et fait de l’île un cas unique au monde.

Un accord diplomatique inchangé depuis 1856
Ce partage atypique repose sur un principe juridique rare : le condominium, soit une gestion alternée d’un territoire par deux États. Du 1ᵉʳ août au 31 janvier, la France administre l’île ; du 1ᵉʳ février au 31 juillet, l’Espagne prend la relève. À chaque changement, une cérémonie officielle marque le transfert de souveraineté. Aucun tirage au sort, aucune discussion : tout est réglé depuis le traité de Bayonne de 1856.
Ce texte a été signé après une longue série de négociations et d’accords frontaliers, préférant la cogestion pacifique à la confrontation militaire. Depuis, aucune remise en cause n’a eu lieu : pas de litige, pas de crise diplomatique. Dans un monde où les disputes pour quelques mètres carrés peuvent dégénérer, l’Île des Faisans reste un symbole de coopération sereine.
Un lieu historique au cœur de l’Europe
Bien avant ce partage, l’île avait déjà joué un rôle central dans l’histoire. En 1659, elle fut le théâtre de la signature du traité des Pyrénées, qui mit fin à 24 années de guerre entre la France et l’Espagne. Choisir cet îlot, situé exactement sur la frontière, permettait aux deux camps de négocier en terrain neutre, mais sous surveillance mutuelle.
L’île a aussi servi de décor à des échanges princiers dignes d’un roman historique. En 1615, Élisabeth de Bourbon y fut remise à la cour d’Espagne, tandis qu’Anne d’Autriche faisait le trajet inverse pour épouser Louis XIII. Le protocole était minutieux : un pont temporaire, partagé en deux moitiés égales, garantissait que chaque royaume conservait symboliquement sa part du chemin.

Une île interdite au public
Aujourd’hui, l’Île des Faisans n’a aucun habitant. Pas de maison, pas de commerce, pas même un sentier. L’accès y est strictement interdit au grand public. Seuls les agents municipaux d’Hendaye et d’Irun peuvent y débarquer, pour de simples opérations d’entretien : tonte, nettoyage, remise en état. Après quoi, ils repartent aussitôt.
L’endroit ne possède aucune ressource exploitable ni valeur économique particulière. Trop petit et trop exposé, il ne présente aucun intérêt commercial. La seule construction présente est un monument commémoratif au centre, rappelant l’accord de 1659. Pour le reste : des arbres, de l’herbe et l’eau de la Bidassoa qui l’isole de tout.
Un symbole plus qu’un enjeu
Pourquoi ce dispositif perdure-t-il encore en 2025 ? Parce qu’il fonctionne parfaitement. L’alternance entre France et Espagne est un exemple rare de diplomatie sans accroc, respectée à la lettre depuis plus de 150 ans. Aucun pays n’a jamais cherché à s’approprier définitivement l’île. Sa valeur est purement symbolique : celle d’un territoire partagé, mémoire d’une paix négociée et maintenue.
L’Île des Faisans fascine autant qu’elle intrigue. Des universitaires et spécialistes des frontières citent régulièrement cet exemple dans leurs recherches, tant il illustre qu’un accord international, même sur un espace minuscule, peut rester pérenne.
Un repère familier pour les riverains

Les habitants d’Hendaye et d’Irun connaissent bien cette petite bande de terre. Certains l’observent chaque jour depuis les berges, d’autres ignorent presque tout de son histoire. Elle fait partie du paysage local, comme un vieil héritage dont on ne se sépare pas. Pour beaucoup, elle incarne un cousinage géopolitique entre deux nations qui, ici au moins, n’ont jamais cessé de s’entendre.
Et demain ?
Rien ne laisse penser que ce système cessera un jour. Il y a fort à parier qu’en 2125, l’île continuera à changer de nationalité deux fois par an, sans drapeau planté, sans discours guerriers, juste avec un accord signé et scrupuleusement respecté.
Dans un monde où la diplomatie est souvent synonyme de tensions, l’Île des Faisans prouve qu’il est possible de partager un territoire en paix. Un petit morceau de terre, coincé entre deux eaux, qui nous rappelle que parfois, quelques mètres carrés suffisent à écrire une belle histoire.