Située entre le nord et le sud du pays, la Gironde incarne une zone de transition linguistique marquée par un dialogue entre la langue d’oc et la langue d’oïl.
1. Un département au carrefour linguistique
La majeure partie du département relève historiquement du domaine occitan. Le gascon y domine, couvrant notamment le Bordelais, le Médoc, l’Entre-deux-Mers, le Bazadais ou encore le pays de Buch. Le languedocien apparaît dans le nord-est de l’Entre-deux-Mers et dans l’est du Libournais, tandis que le limousin est présent autour de Puynormand.

Au nord, la frange linguistique autour de Blaye, Coutras et Guîtres, le Pays Gabay (également appelé Grande Gavacherie), appartient à la zone d’expression du poitevin-saintongeais, un dialecte d’oïl fortement influencé par l’occitan. Une seconde enclave est la Petite Gavacherie, autour de Monségur, au sein même du domaine gascon. Enfin, à l’extrémité ouest, dans la presqu’île du Verdon-sur-Mer, subsiste une enclave de saintongeais près de l’esprit occitano-gascon.
2. Une transition linguistique mouvante
Cette frontière linguistique, loin d’être nette, s’apparente à une zone de transition ou « marge linguistique » où coexistent des traits d’une langue et de l’autre, et où émergent des parlers intermédiaires comme le marchois. Géographiquement, elle s’étend de Blaye vers Coutras en Gironde, suit la limite Dordogne‑Gironde et traverse ensuite la forêt de la Double jusqu’à la Charente, en marge occitane classique.
Les cartographies historiques, de Charles de Tourtoulon (1876) à Walther von Wartburg (1941), tentent de tracer ces lignes mouvantes, souvent nommées selon les parlers d’oc et d’oïl ou via le concept de médioroman, une zone linguistique intermédiaire.
3. Portrait du poitevin‑saintongeais
Le poitevin-saintongeais, clairement identifié comme appartenant aux langues d’oïl, est pourtant influencé par l’occitan sur le plan lexical, phonétique et grammatical. Il représente un continuum linguistique entre le nord‑ouest du domaine gallo‑roman et le Midi, riche en formes hybrides.
Des linguistes comme Pierre Bonnaud ont souligné cette hybridation située entre deux domaines, appelée parfois francitan. Le francitan, mot‑valise issu de français et occitan, désigne cet état de chevillage diglossique, où les locuteurs utilisent un français régional marqué par l’occitan.
4. Une identité culturelle arrimée au territoire

Cet espace de contact linguistique est aussi porteur d’une identité singulière : les habitants ne se définissent ni purement comme Occitans ni comme francophones classiques, mais comme situés dans un parler hybride enrichi par deux traditions. Ce sentiment se retrouve aussi dans des pratiques culturelles locales, des noms de lieux et des usages populaires.
5. Héritage vivant et enjeux de transmission
Si le français s’est imposé comme langue nationale, l’occitan (par ses dialectes gascon, languedocien, limousin) conserve une présence culturelle dans la Gironde. Il est classé parmi les langues en danger, mais bénéficie aujourd’hui de politiques de revitalisation, avec des enseignements, soutien régional et outils de transmission.
De même, le poitevin-saintongeais est reconnu au sein des langues d’oïl officielles depuis 2010 par la DGLFLF, participant à la diversité culturelle française.
En résumé, la Gironde illustre magistralement une zone de transition linguistique où l’occitan et les parlers d’oïl s’entremêlent, façonnant un paysage linguistique multiple entre gascon, limousin, saintongeais et languedocien. Cette mosaïque illustre comment les langues régionales françaises, loin d’un passé révolu, continuent d’influencer le patrimoine culturel vivifiant du territoire.
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