Le Musée d’Aquitaine à Bordeaux, fraîchement rénové, propose jusqu’au 16 novembre 2025 une exposition remarquable intitulée * »Le monde d’après, 1944-1954. Des lendemains qui chantent ? »*. Cette période, souvent reléguée dans les mémoires entre les traumatismes de la guerre et les Trente Glorieuses, est pourtant fondamentale pour comprendre la France contemporaine.
À travers des objets du quotidien, des archives et des reconstitutions, l’exposition retrace cette décennie de métamorphoses, où le pays se reconstruit physiquement et moralement, entre espoirs et désillusions.
Un parcours immersif : de l’ombre à la lumière
Dès l’entrée, le visiteur est plongé dans l’atmosphère sombre de la fin de la guerre. Un couloir obscur présente des affiches de propagande, des images des troupes allemandes défilant dans Bordeaux, ou encore l’évocation tragique des fusillés du camp de Souge. Puis, la lumière jaillit : l’été 1945, la Libération, la joie des bals populaires où marins, ouvriers et familles célèbrent enfin la paix. Mais comme le rappelle Daniel Cordier, résistant et secrétaire de Jean Moulin, cette victoire fut aussi « une victoire en pleurant ».
1945-1954 : la révolution du quotidien
Romain Wenz, commissaire de l’exposition, souligne l’impact de cette décennie sur les modes de vie : « Tout change, de la maison à la rue. Rien ne sera plus comme avant. » déclare t’il a nos confères du Figaro. Les visiteurs redécouvrent avec émotion les objets qui ont marqué leur enfance ou celle de leurs parents : la Citroën 2CV de 1948, les meubles en formica, les premiers électroménagers, ou encore les jouets en bakélite.
L’exposition met en avant l’essor des arts ménagers, symboles de modernité et de confort. En 1946, René Gabriel invente le meuble en série, répondant à la demande du ministère de la Production industrielle : des objets à la fois simples, fonctionnels et élégants. Le tracteur Renault R3040, fierté du plan Marshall, incarne quant à lui la mécanisation des campagnes – mais aussi le début de l’exode rural et des défis écologiques.
Les combats politiques et sociaux : l’héritage de la Résistance
Au-delà des objets, l’exposition explore les bouleversements politiques. L’ordonnance du 21 avril 1944 accorde le droit de vote aux femmes, un isoloir symbolique rappelle ce combat. La création de la Sécurité sociale en 1945, dont on fêtera les 80 ans en octobre 2025, est un autre héritage majeur du Conseil national de la Résistance.
Mais cette période est aussi marquée par les ambiguïtés de l’épuration. À Bordeaux, le bureau de Jacques Chaban-Delmas, maire résistant, contraste avec le destin d’Adrien Marquet, condamné pour collaboration. L’exposition n’élude pas ces questions, présentant des archives de presse et des débats, comme ceux initiés par François Mauriac sur le « crime de plume » et le pardon.
Culture et loisirs : l’Amérique, le cinéma et le rock’n’roll
Les années d’après-guerre voient aussi une explosion culturelle. Le cinéma triomphe : Le Dictateur de Chaplin (1945) fait rire 8 millions de Français, tandis que Jour de fête de Tati (1949) moque avec tendresse l’américanisation des modes de vie. Les premiers juke-box envahissent les cafés, annonçant l’arrivée d’Elvis Presley et la rivalité avec Tino Rossi ou Édith Piaf.
Un écho troublant avec notre époque
En parcourant cette exposition, le visiteur ne peut s’empêcher de faire des parallèles avec aujourd’hui. Comme le souligne Romain Wenz : « Cette euphorie des lendemains qui chantent était en réalité très nuancée. L’exode rural, les inégalités, la peur nucléaire… Ces questions résonnent encore. »
Entre optimisme et désenchantement, « Le monde d’après » offre une réflexion passionnante sur une décennie qui a façonné la France moderne. Une visite incontournable pour comprendre d’où nous venons – et peut-être, où nous allons.
Infos pratiques :
*Exposition « Le monde d’après, 1944-1954. Des lendemains qui chantent ? »*
Musée d’Aquitaine, Bordeaux
Du 6 mai au 16 novembre 2025
Billetterie et réservations sur le site du musée.
A lire aussi : La Fermesse s’invite à Bordeaux en juin !
